La scène musicale européenne abrite de nombreux·ses musicien·ne·s FLINTA* – un acronyme, largement utilisé notamment en Allemagne et en Autriche, et réunissant femmes, lesbiennes, intergenres, non-binaires, trans, agenres et autres identités de genres marginalisées. Iels sont talentueux·ses et accompli·e·s, contribuent grandement au monde de la musique. Malgré leurs réussites artistiques, ces artistes font face à de nombreux défis dans l’industrie, allant de la discrimination de genre au manque de représentativité et de visibilité. Les musicien·ne·s FLINTA* doivent combattre quotidiennement pour atteindre l’égalité et l’équité ; certain·e·s luttent haut et fort, d’autres de manière plus discrète. Des organisations et associations, telles que Keychange, MEWEM ou shesaid.so, soutiennent ces combats. En ce 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes, et dans une optique de défendre toutes les minorités de genre, nous prenons le temps, en compagnie de certain·e·s musicien·e·s FLINTA* européen·ne·s et de Keychange, d’examiner la situation actuelle : quels sont les problèmes cruciaux et comment pouvons-nous améliorer la situation globale?
Commençons par le plus frappant : les discriminations de genre
Les musicien·e·s FLINTA* sont confronté·e·s à un défi majeur dans l’industrie musicale européenne : les discriminations de genre. Iels font face à des préjugés dans de nombreux domaines et situations, tels qu’auprès des maisons de disques, des stations de radio, ou lors de leurs concerts. « En Croatie, nous sommes d’abord vues par le prisme de nos modes de vie, de nos genres et de nos sexualités, et seulement ensuite comme des musiciennes », regrette Sara Ercegović du groupe de rock Žen, l’un des nombreux projets européens abordant des questions féministes et queers dans leur musique. Une expérience également vécue par le groupe autrichien de surf-garage-rock DIVES : « Nous devons mettre fin à l’ostracisation des personnes FLINTA*. Nous ne sommes pas un genre musical à part ». Alors qu’il est important de reconnaître l’existence des musicien·ne·s ne rentrant pas dans la catégorie des hommes cisgenres, nous ne devrions pas non plus mettre l’ensemble des FLINTA* dans le même sac – il existe une grande diversité musicale au sein de cette communauté.
Žen
Cash Cash Money :les discriminations financières
Un autre problème auquel sont confronté·e·s les musicien·ne·s FLINTA* est la difficulté à bénéficier des mêmes opportunités que leurs homologues masculins cisgenres, que l’on parle d’accès à des signatures en label, à des passages en radio et, surtout, aux financements. Cela entraîne une insécurité financière plus importante pour les personnes FLINTA*. Difficile d’oser prendre des risques dans ces conditions, explique DIVES.
Toujours sur le thème de l’argent, l’écart de rémunération entre les genres reste un problème dans l’industrie musicale. Les musicien·ne·s FLINTA* sont souvent beaucoup moins payé·e·s que les artistes masculins cisgenres. Cela s’explique en partie par le fait que les artistes FLINTA* sont moins souvent sélectionné·e·s pour jouer lors d’événements et de festivals réputés. Ne pas gagner assez d’argent pour subvenir à ses besoins sous-entend avoir un job alimentaire à côté de son activité artistique, mais, comme le fait remarquer le groupe roumain de new-wave ZIMBRU : « C’est absurde de penser que quelqu’un a l’énergie pour la création et l’envie d’écrire de la musique après 8 heures de travail ».
La situation est encore pire pour les musiciens issus de communautés minoritaires, y compris les personnes FLINTA* de couleur, qui font face à une double discrimination basée à la fois sur leur genre et leur origine. ZIMBRU souligne l’importance de l’intersectionnalité : « Nous devrions nous concentrer sur ces liens et réfléchir à la manière de donner la parole aux récits non blancs et non européens ».
Le manque de représentation : une discrimination (in)visible
« La représentation, c’est important », déclare DIVES, à juste titre. L’industrie musicale est largement dominée par les hommes. La majeure partie des hauts dirigeants, managers et promoteurs sont des hommes cisgenres. Ce manque de représentation au plus haut niveau conduit souvent à une absence de visibilité pour les musicien·ne·s FLINTA*, souvent marginalisé·e·s ou complètement ignoré·e·s. Ce manque de visibilité rend l’accès à la notoriété difficile pour ces artistes, iels sont dans l’incapacité de rassembler des fans, ce qui nuit à leurs chances de réussir dans le milieu.
DIVES
Moins de discriminations, plus d’action, s’il vous plaît !
Keychange est l’une des organisations qui promeuvent l’égalité des genres en utilisant une approche intersectionnelle à un niveau systémique. À la question de savoir où nous devrions concentrer notre énergie en ce moment, Francine Gorman, cheffe de projet chez Keychange, répond : « Nous avons besoin d’actions ciblées pour garantir que l’industrie musicale crée des opportunités égales pour tous les genres. Pour tenter de pallier les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes, les artistes et professionnel·es·s de genres minoritaires. »
Une solution simple pour limiter les discriminations de genre serait de mettre en place des quotas. Comme l’explique DIVES à propos de l’ostracisation des musicien·e·s FLINTA* : « La musique des personnes FLINTA* est souvent commercialisée comme un genre à part entière dans des événements spécifiques. D’une part, cela donne l’impression que la musique créée et représentée par les hommes est définie comme « normale », tandis que la musique des FLINTA* forme sa propre catégorie. Cela renforce également l’impression qu’iels forment une exception et une minorité. D’autre part, les catégorisations problématiques, comme ‘girls band’ ou ‘musique de femmes’, et les événements à thèmes invisibilisent également les personnes inter, trans et non-binaires – voire qualifient leurs genre de manière incorrecte, ce qui est inapproprié et inutile. »
Mentionner la question des quotas entraîne souvent des soupirs exaspérés et des commentaires du type : « J’adorerais recevoir plus de musicien·e·s FLINTA*, mais il n’y en a tout simplement pas assez dans [insérer n’importe quel genre musical] ! ». Cela renvoie une fois de plus à un manque de représentation : les musicien·ne·s FLINTA* sont bien assez nombreux·ses dans tous les styles pour créer des line-ups équilibrés. Cependant, comme iels n’ont pas la même visibilité que les hommes dans les médias et les algorithmes, il faut fournir un effort supplémentaire pour les trouver. Et personne n’aime travailler plus.
Pour contrebalancer ce problème, il serait possible de lier les quotas aux financements : vos line-ups ne sont pas équilibrés ? Pas de subvention pour vous ! Selon Francine Gorman, « les organismes de financement peuvent exiger des preuves d’actions en faveur de l’équité des genres pour accorder leurs subventions. Ils peuvent servir de modèles en veillant à ce que leur propre personnel et leurs équipes en charge des décisions soient diversifiés ».
L’éducation et la formation peuvent également jouer un rôle clé pour relever les défis auxquels les musicien·ne·s FLINTA* font face dans l’industrie musicale. Cela peut prendre la forme de programmes de formation et de mentorat pour aider les artistes à développer leurs compétences et à naviguer avec succès dans l’industrie. Le projet européen MEWEM, par exemple, est un programme de mentorat, qui propose également des ateliers et des formations, pour les professionnel·le·s de la musique FLINTA* qui débutent dans le milieu.
Harcèlement sexuel et agressions
Le harcèlement sexuel et les agressions restent des problèmes importants dans l’industrie musicale, en particulier pour les musicien·ne·s FLINTA*. Plusieurs d’entre iels ont parlé de leurs expériences de harcèlement sexuel et d’agression, souvent de la part d’hommes puissants de la musique. Cela a conduit à une culture de la peur et du silence, tous et toutes craignant de parler, de peur de voir leur carrière s’effondrer.
ZIMBRU : « Ce matin, je parcourais la revue annuelle de l’ILGA (Association internationale lesbienne, gay, bisexuelle, trans et intersexuelle) sur la situation LGBTQIA+ en Europe et en Asie centrale. Et c’est grave. L’année dernière a été la plus violente pour les personnes LGBTQIA+ au cours de la dernière DÉCENNIE. J’ai besoin d’utiliser des majuscules, parce que j’ai parfois l’impression que les gens (surtout dans l’Ouest) en ont assez de ce sujet et pensent que l’homophobie appartient au passé, que l’activisme et le féminisme ne sont plus nécessaires. Je les invite également à regarder les statistiques de violences domestiques. »
ZIMBRU
Un enjeu crucial pour lutter contre le harcèlement sexuel et les agressions est de créer plus d’espaces sûrs, de safe places. Safe The Dance, basée en Allemagne, est par exemple l’une des quelques associations européennes travaillant à sensibiliser et éduquer les gens sur ces sujets, organisant des ateliers, des conférences et des évaluations.
Francine Gorman voit également la nécessité de demander des actions de la part du gouvernement : « Au niveau gouvernemental, des politiques peuvent être mises en place pour lutter contre le harcèlement et la discrimination au travail qui constituent un obstacle colossal pour les femmes et les professionnel·le·s des industries créatives issues des minorités de genre »
Mais que peut-on faire à sa propre échelle ?
Francine Gorman de Keychange explique : « Pour créer du changement, la première étape consiste à examiner avec qui vous travaillez, quelles sont les opportunités disponibles et pour qui. Par exemple, si vous organisez une concert dans un petit lieu, vous pouvez examiner l’équilibre entre les genres des artistes que vous invitez à se produire. Vous pouvez aussi veiller à la représentation des genres parmi les technicien·ne·s et l’équipe embauchée pour travailler sur les spectacles. Si vous êtes un label, vous pouvez vous faire en sorte que la représentation des genres des artistes signé·e·s chez vous rentre en considération : engagez-vous à rechercher des talents féminins et expansifs en matière de genre pour de futures signatures, s’iels sont actuellement sous-représenté·e·s dans votre entreprise. Vous pouvez également veiller à l’équilibre entre les genres au sein de votre équipe, de votre conseil d’administration, ainsi qu’à la représentation des artistes se produisant lors de chacun de vos événements – en veillant à ce que des voix diversifiées soient présentes et entendues à chaque niveau. »
Francine Gorman
Il existe de nombreuses façons et opportunités de s’impliquer et de promouvoir le changement, à un niveau individuel, culturel et gouvernemental. Tout sauf l’inaction.
Pour vous laisser sur une note plus positive, et donnant un peu d’espoir pour l’avenir, voici les réponses des trois groupes à la question :
Jusqu’à présent, quelle est votre plus grande réussite ?
DIVES : « Que de très jeunes fans nous trouvent géniales pour notre musique, peu importe la façon dont nous utilisons notre apparence pour exprimer notre genre. Nous sommes fières de pouvoir influencer positivement les perceptions sur le sujet. »
ZIMBRU : « Ma plus grande réussite est de m’être fait des ami·e·s. À mesure que je vieillis, ma plus grande réussite serait de conserver et de maintenir ces amitiés malgré les changements. »
Sara Ercegovic de Žen : « Vivre notre vie bruyamment et fièrement sans crainte de ne pas être acceptées, et rester fidèles à nous-mêmes au fil de toutes ces années. »