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Musique & écologie, épisode 2 : pour des tournées plus vertes

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Musique & écologie, épisode 2 : pour des tournées plus vertes

Début 2021, le musicien autrichien Manu Delago s’est lancé dans l’une des tournées les plus ambitieuses de sa carrière. Souhaitant minimiser leur empreinte carbone, l’artiste et son équipe ont chargé les instruments et le matériel de scène dans des remorques, et ont fait toutes les dates de leur tournée à vélo ! L’écologie est une ambition partagée par de nombreux artistes, mais il n’est pas nécessaire que chacun d’eux pédale pour se rendre à ses concerts. Aujourd’hui, nous nous intéressons aux différentes solutions que les artistes ont trouvées en 2022 et au-delà, pour partir en tournée de façon plus durable.

© Manu Delago ReCycling Tour 2021

Les médias ont beaucoup parlé de musiciens célèbres qui vantaient leur approche écologique des tournées. Billie Eilish, Radiohead, Massive Attack et bien d’autres ont adopté des démarches différentes pour limiter leur empreinte carbone lors de leurs déplacements à travers le monde. En 2019, Coldplay a même cessé de se produire pour des raisons similaires, avant d’adopter une formule de tournée plus écologique.

Un seul vol court distance émet autant de CO2 que ce que beaucoup d’entre nous rejette en une année entière. Mais dans le calcul de l’impact environnemental d’une tournée, il ne faut pas seulement prendre en compte les membres du groupe et de l’équipe, mais aussi les fans qui les suivent et qui pèsent sur l’empreinte carbone des spectacles et des festivals.

Comment les artistes peuvent-ils continuer à faire des tournées et à donner des concerts à travers le continent, et le monde, tout en réduisant leur impact sur l’environnement ? La réponse est loin d’être évidente, et leur approche du problème s’avère très diversifiée.

© Guy Smallman

Le rider vert

Créé par l’United Independent Music Agencies (UIMA), le rider vert (The Green Rider en VO) est un kit de ressources, assorti d’une liste de recommandations, que les promoteurs et les organisateurs participant doivent respecter. Outre les exigences liées à des services d’accueil et d’hébergement plus verts, on y trouve des recommandations en matière de transport, visant à réduire autant que possible le recours aux vols courte distance.

Selon l’UIMA, les mille et quelques artistes représentés par l’agence totalisent plus de 15 000 spectacles et 18 400 vols par an, dont 7 500 pour effectuer moins de 750 km, alors que des solutions plus écologiques, comme le train, pourraient les remplacer. En adoptant le Green Rider, les artistes peuvent réduire de 80% leurs émissions de CO2.

L’UIMA n’est pas la seule initiative à proposer ce genre de recommandations. Le Green Touring Network, coopération allemande à but non lucratif, a également publié un Green Touring Guide visant à aider et orienter les artistes dans leurs objectifs de neutralité carbone. Ce guide prônent des bonnes pratiques associées au développement durable, notamment en ce qui concerne les déplacements, les spectacles, la restauration, l’hébergement, le merchandising et la communication.

Le groupe pop allemand Milky Chance a adhéré au Green Rider. Soucieux de faire davantage d’efforts en termes d’écologie, ils ont en 2019 engagé une responsable du développement durable, Mariko-Ann Zimmer. Selon leur propres termes, ils souhaitent ensemble « adopter une position proactive face à l’urgence environnementale. » Le groupe et son équipe voyagent autant que possible en bus, évitant les avions et les hôtels. En route, ils échangent avec des ONG, et tentent de sensibiliser le public à la crise climatique. Ils contribuent également à l’initiative Music Declares Emergency, regroupant des artistes du monde entier qui militent sur ce thème. La campagne, baptisée « No music on a dead planet », s’appuie sur un dossier d’information comprenant un guide en dix étapes permettant aux artistes de rendre leurs tournées plus écologiques. Le document, auquel a participé ecolibrium, un collectif organisant des événements militants dans des festivals, comporte des recommandations telles que la mesure de l’empreinte carbone des déplacements, l’élaboration de plans de déplacements durables, ainsi que la communication d’objectifs environnementaux à l’intention du public.

© Anthony Molina

La route en vert

Milky Chance n’est pas le seul groupe allemand à s’engager sur ce sujet, lequel prend une importance croissante dans l’industrie du spectacle vivant. Deux des plus grands groupes de rock allemands, Die Ärzte et Die Toten Hosen, collaborent avec l’association Atmosfair, qui promeut et contribue à des projets de réduction des émissions de CO2. Lors de leurs dernières tournées, les deux formations ont augmenté le prix de leurs billets de concert, et reversé la différence à Atmosfair, afin de compenser leurs émissions de CO2. Les musiciens ont également initié le concept de concerts « écologiques » à Berlin, et exploré de nouveaux « produits et procédés respectueux du climat et des ressources » qu’ils pourraient adopter lors de leurs prochaines tournées.

Naturellement, tous les artistes ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener à bien des projets aussi ambitieux. C’est pourquoi le Goethe Institut, une association culturelle allemande à but non lucratif, a mis en place un programme de financement baptisé Grün Unterwegs, visant à soutenir et à promouvoir la durabilité des activités des musiciens professionnels. L’artiste allemand Felix Claßen figure parmi les nombreux bénéficiaires de ce fonds ; pour déplacer son installation sonore quadriphonique alimentée par l’énergie solaire, il a ainsi utilisé uniquement le train et le bateau. Mentionnons également le musicien de jazz Jonas Engel, dont la tournée européenne a été subventionnée car il a eu recours à des moyens de transport plus écologiques, et Tub Biever, musicien berlino-luxembourgeois, membre du groupe indie Tuys. « Nous avons découvert Grün Unterwegs via un autre programme paneuropéen, Initiative Pop, auquel nous participions », a expliqué Biever.

Tuys a bénéficié d’un financement pour l’organisation de sa première tournée en tête d’affiche au Royaume-Uni. « L’argent a été investi dans la tournée dans son ensemble, nous a encourageant à prendre des décisions écologiques », précise-t-il. « Cela nous a incités à privilégier des moyens de transport plus verts, mais plus coûteux ; en prenant le ferry au lieu de la route, par exemple. »

Pédaler pour le changement

De petits gestes peuvent parfois faire une grande différence. Pour réduire son empreinte carbone sur la route, il n’est pas indispensable de partir en tournée à vélo, de rejoindre une initiative paneuropéenne, ni même d’inventer de nouveaux systèmes de sonorisation à énergie verte. Parfois, une simple conversation avec vos collègues, votre équipe ou vos agents artistiques peut permettre de faire avancer les choses.

© Pierre Andrieu

« Nous prenons sérieusement en compte cet aspect, et nous nous remettons beaucoup en question à ce sujet », ont répondu The Psychotic Monks, interrogés sur leur approche de la tournée verte. Le groupe français a attiré l’attention d’Europavox lorsqu’il s’est produit à notre festival de Clermont-Ferrand en 2021, avec des requêtes spéciales, plus « vertes », dans leur dossier d’inscription. « Nous essayons d’éviter de prendre l’avion, par exemple, sauf s’il n’y a pas d’autre solution. Nous essayons d’éviter les concerts isolés, nous limitons nos demandes liées à notre participation en bannissant les produits plastique. Nous évitons d’acheter des bouteilles d’eau en plastique, et aussi, mais c’est plus personnel, nous sommes soit végétariens soit végétaliens, donc nous demandons des repas sans viande. Les artistes ont une grande responsabilité, car s’engager sur ces questions et se rassembler autour, peut envoyer un message fort. » Le message fort ? Il n’y aura pas de musique sur une planète morte.